« Il y a deux façons d’envisager demain : certains y voient une journée coincée entre deux nuits ; d’autres préfèrent penser à demain comme une nuit scellée entre deux journées. » Anonyme. Dans la longue lutte pour la fin du régime militaire qui a vu naître trois générations de Togolais, plusieurs méthodes ont été essayées. Je voudrais dans cette première partie revenir sur une qui fait couler beaucoup d’encre et de salive, tant elle soulève beaucoup de passions: il s’agit de l’approche électoraliste.
Approche Électoraliste : « l’art de mettre fin au régime par les urnes »
Avant toute chose, il convient de préciser qu’à l’heure actuelle, presque tous les acteurs politiques togolais engagés dans la lutte pour le changement reconnaissent qu’ils ont en face un régime militaire. Ceux qui jusqu’à récemment étaient dans l’illusion et se croyaient un tant soit peu sous un régime différent parce que « le général est mort» ont dû déchanter : le multipartisme et l’imitation des institutions démocratiques d’autres cieux n’enlèvent rien au caractère militaire du régime togolais.
Jusqu’ici la quasi-totalité des acteurs engagés pour le changement politique a choisi de venir à bout du régime militaire togolais par la voie électoraliste, c’est-à-dire le changement de régime par le biais des élections. Il faut dire qu’après tout, c’est la seule voie apparente qu’offre le rapport des forces ; c’est aussi la voie adoubée par « les partenaires » du pays, malgré que cette voie ait parfois coûté des centaines de vies, autant de vies qu’une insurrection ou une rébellion armée.
Certains acteurs politiques voient en l’électoralisme la seule planche de salut et sont prêts à participer à toute élection sans aucune demande de réformes a minima. D’autres acteurs y participeraient à condition qu’il y ait des réformes somme toute dépendant du bon vouloir du régime lui-même.
Depuis trois décennies, les acteurs politiques togolais engagés pour le changement s’affrontent, se tiraillent, se jettent des piques et des invectives et créent même des rancunes tenaces autour de la participation ou non aux élections organisées par le régime militaire, notamment sur le fait que tel ait participé ou veut participer sans avoir demandé des réformes, etc., etc. Sous un régime militaire comme celui du Togo, participer aux élections à condition qu’il y ait des réformes ou sans réformes sont deux faces de la même médaille.
Il est indéniable que de par le monde, après la chute du communisme dans les années 1990, et récemment avec le printemps arabe, des élections ont mis fin à des régimes militaires. Mais sous le régime militaire du Togo qui a tiré les leçons des défaites électorales d’autres régimes militaires, l’électoralisme n’a pas jusqu’ici donné les résultats escomptés pour la raison suivante.
Cela fait 59 ans que l’armée domine la vie politique, 59 ans que les réflexes et la culture des casernes, des champs de bataille, des champs de tirs, bref tout ce qui a trait à la culture militaire a infiltré, pénétré, noyauté la culture politique des civils, particulièrement des militants du parti que l’armée avait créé en 1969. Pour l’armée qui est aux commandes et les animateurs du parti qu’elle a créé pour gérer le pouvoir, une élection est une guerre dans tous les sens du terme, donc perdre une élection équivaut à perdre une guerre surtout face aux seuls adversaires qu’elle ait jamais affrontés : les civils togolais. Perdre une guerre face au camp des civils non-armés est une chose que l’armée togolaise ne veut pas voir dans son palmarès. Et au Togo c’est parce que l’armée est sûre de gagner des guerres (élections) qu’elle les déclenche.
Toute personne qui observe attentivement la logistique et les préparatifs de chaque élection par le régime togolais conclura assez vite qu’ils sont similaires à la préparation d’une guerre, aussi bien sur le plan physique que psychologique. À chaque élection depuis 1993, le camp du régime militaire se prépare à livrer une guerre à des adversaires civils dont l’état d’esprit est aussi éloigné d’une guerre que la position du pôle nord par rapport au pôle sud. Ce déphasage d’état d’esprit en période électorale explique en grande partie les échecs répétés des acteurs qui ont adopté l’approche électoraliste dans le combat pour le changement politique.
Comme cela s’est fait ailleurs, les acteurs politiques engagés pour le changement ont une petite chance de venir à bout du régime militaire togolais par des élections, à condition qu’ils adoptent eux aussi le même état d’esprit que le camp du régime, tel qu’expliqué ci-dessus. Sans cela, chaque élection restera pour le régime militaire togolais une opération de dialyse et l’attitude électoraliste de ses adversaires demeurera son souffle de vie. Dans la deuxième partie de cette analyse, nous reviendrons sur l’approche éthique adoptée par certains acteurs politiques engagés pour le changement.
A. Ben Yaya
25 juin 2022
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