Interview : Prudent Victor Topanou dit tout sur les avancées et les plaies de la démocratie béninoise

La démocratie béninoise et la gouvernance Talon, vues de l’extérieur, on en a un aperçu caricatural sous des clichés, parcellaire et peut-être pas tout à fait fidèle à la réalité. Dans cet entretien à bâtons rompus à nous accordé, en marge du sommet citoyen sur la bonne gouvernance, l’alternance et la démocratie à Cotonou les 9 et 10 juillet dernier, M. Prudent Victor Topanou, Directeur du Centre de recherche sur l’Etat en Afrique (CREA) et ancien Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, de la Législation et des Droits de l’Homme, Porte-Parole du Gouvernement, nous en parle avec un regard intérieur. Gouvernance politique et économique, infrastructures routières, corruption, l’universitaire, Maître de conférences de Science politique à l’Université d’Abomey-Calavi, vante les avancées de la démocratie dans son pays, mais n’en obère pas les plaies. Requis, il donne également son aperçu de la politique et des réalités au Togo. Lisez l’entretien ci-dessous.

Regard de Béninois et/ou de citoyen de la CEDEAO sur la démocratie togolaise

Prudent Victor Topanou: Je ne peux pas me transformer en donneur de leçon, je n’en ai aucune à donner, surtout pas à un pays étranger. Et en plus, dans le domaine qui est celui de la démocratie où il n’y a pas de modèle idéal. Chaque modèle a ses avantages et ses inconvénients. Il est clair que si vous me demandez une appréciation sur la situation du Togo, je ne pourrai m’appuyer que sur ce que relaient à l’international les militants et activistes togolais ainsi que certaines organisations de défense des droits de l’homme. Et Dieu seul sait qu’ils relaient beaucoup de situations anormales de violation des droits de l’homme et des libertés. Pour autant, comme je le disais plus haut, je ne suis pas habilité à stigmatiser un pays voisin.

« Togolisation » du Bénin sur certaines pratiques, gouvernance politique…

Prudent Victor Topanou : Non ! Je réfute catégoriquement l’expression togolisation du Bénin. Par contre, il est clair qu’il y a une nouvelle donne depuis 2016, le premier mandat du Président Patrice TALON qu’il faut bien comprendre, au risque de faire une mauvaise interprétation de la situation. Cette nouvelle donne, c’est la volonté d’appliquer le droit aux acteurs politiques afin qu’ils répondent de leurs actes.

En effet, ces trente (30) dernières années, on a transformé les acteurs politiques en des intouchables. Quand vous voulez voler les biens publics, voire simplement tordre le cou à la loi sans craindre de rendre compte, il vous suffit d’adhérer à un parti ou de vous faire élire député ou conseiller communal et municipal, ou encore local. Dès que l’on avait l’un de ces statuts-là et que l’on était poursuivi, il suffisait de crier à la politisation, à la volonté d’affaiblissement, soit d’un partenaire, soit d’un adversaire et le tour est joué. Pendant ce temps, on arrête des citoyens et on les enferme parce qu’ils ont volé une poule ou un coq.

Depuis 2016, nous avons progressé en responsabilité individuelle. Chacun sait désormais que quel que soit son statut, politique ou pas, s’il pose un acte qui mérite de rendre compte, il lui sera demandé. C’est cela la nouvelle donne que les acteurs politiques, habitués depuis trente ans à ne pas rendre compte, ont du mal à digérer et à intégrer. Et comme d’habitude, la classe politique crie à la politisation de tous les dossiers, à la volonté d’affaiblir et d’éliminer tous les concurrents potentiels, etc., etc. Mais ce n’est pas l’avis des Béninois qui, eux, sont bien heureux de voir les acteurs politiques rendre enfin des comptes, surtout quand ils suivent l’actualité en France où d’anciens Présidents de la République, des Ministres et autres acteurs politiques sont traînés devant la Justice. Les affaires domaniales à Abomey-Calavi ou de détournement de deniers publics dans d’autres secteurs sont là pour montrer l’adhésion des populations à cette nouvelle donne.

Avancées démocratiques sous Talon

Prudent Victor Topanou: J’en vois deux majeures. La première, c’est la progression du principe de l’égalité de tous devant la loi : c’est enfin une réalité chez nous. Que vous soyez homme politique ou pas, si vous détournez ou si vous violez la loi, vous rendrez compte. Aujourd’hui, plus personne ne peut user de sa casquette politique pour se soustraire à la Justice. Pour moi, c’est une énorme avancée, un véritable renforcement de l’Etat de droit.

La 2e (avancée, Ndlr), c’est le renforcement du système partisan. Jusqu’en 2016, aucun président béninois élu n’avait été issu d’un parti politique précisément parce qu’il n’y avait aucun parti politique suffisamment fort, seul ou en alliance pour remporter une élection présidentielle. Nous n’avions que des clubs électoraux dont l’aura ne dépassait guère une commune, parfois même un quartier de ville. Or, quand vous prenez tous les autres pays de l’espace CEDEAO, vous ne pouvez pas être élu président de la République si vous n’êtes pas issu d’un parti : que ce soit au Nigeria, au Togo, au Ghana, en Côte-d’Ivoire, au Sénégal, au Mali, au Burkina Faso, au Niger, pour ne citer que ceux-là, ce n’est juste pas possible d’être élu Président de la République si on n’est pas issu d’un parti ; en tout cas, ce n’est encore jamais arrivé. Au Bénin, Soglo, Kérékou, Yayi et Talon ont tous été élus sans avoir appartenu à un parti politique.

Or, le problème institutionnel qui se posait, c’est que pour aller à l’Assemblée nationale, il fallait être issu d’un parti politique. Du coup, le Président de la République, élu sans parti politique, se retrouve pris en étau par les partis représentés à l’Assemblée nationale. Dès lors, les députés soumettaient le Président de la République à un chantage ; le soutenir en votant ses projets de loi contre paiement d’espèces sonnantes et trébuchantes ou l’attribution de marchés publics. Ce système qui était à l’origine de la mal gouvernance ne pouvait continuer ; il a fait trop de mal au Bénin. L’illustration la plus éloquente est encore le siège de l’Assemblée nationale à la descente du pont de Porto-Novo, supposé être l’endroit où bat le cœur de la démocratie béninoise, qui est resté inachevé depuis au moins 2008 pour des raisons évidentes de corruption. C’est un scandale que l’on ne peut retrouver même dans des pays à peine démocratiques. Le pire, c’est l’impunité qui entoure cette affaire. A un moment donné, le Béninois moyen en a marre. C’est bien pourquoi, malgré les dénonciations intempestives des acteurs politiques de l’opposition, les citoyens ne semblent pas se mobiliser pour eux. Au contraire, ils soutiennent cette politique de reddition de compte.

(…) Je pense fondamentalement que notre démocratie devrait passer par là pour grandir. Il fallait cette rupture. Ce que les Béninois demandent aujourd’hui au Président de la République, c’est d’aller encore plus loin, parce que, disent-ils, il y a toujours des gens dans son entourage qui ont été impliqués dans des dossiers et qui doivent rendre compte. A sa décharge, le Président ne peut tout faire en même temps ; le plus important, c’est la dynamique qui est impulsée et qui mérite d’être maintenue, poursuivie et approfondie.

Au total, le renforcement du système partisan s’est construit autour de quatre piliers à savoir :

  • La nouvelle Charte des partis et quelques dispositions du code électoral qui garantissent l’existence de partis politiques véritablement nationaux ;
  • Le principe du financement public des partis qui est mis en place puis appliqué depuis l’année dernière. Jamais il ne l’avait été auparavant ;
  • Le nouveau Statut de l’opposition qui a permis de désigner pour la première fois de notre démocratie un Chef de file de l’opposition. Désormais, les opposants ne seront plus des individus, mais des représentants de partis, au vrai sens du terme ;
  • Le principe du parrainage qui confère désormais aux partis politiques un rôle prépondérant dans la désignation des candidats, contrairement à ce qui a été fait jusqu’ici.

Développement des infrastructures, écart considérable entre Lomé et Cotonou

Prudent Victor Topanou: Je pense que lorsque vous refaisiez toutes vos routes de Lomé, nous autres, n’étions pas en chantier. Peut-être qu’on est en train de rattraper notre retard. Oui, peut-être (que nous vous avons dépassés), mais c’est aussi vrai que nous avons une ville plus grande que la vôtre. Ici, vous ne pouvez pas faire une voie inférieure à six (06), voire dix (10) kilomètres. Oui, c’est vrai que sur le plan économique, il y a d’énormes travaux. Je suis désolé, quand je fais un peu la comparaison avec le Togo, c’est la même chose. Le premier mandat de Faure, il n’y avait pas eu grand-chose ; mais durant le deuxième, il est allé plus loin de Lomé à Agoè et passant par Avedzi et depuis peu, la voie Lomé-Kpalimé depuis Todman. Le Président ici (au Bénin, Ndlr), il n’a pas mis un mandat pour construire les routes, il a mis trois ans pour le faire. Pour la première fois depuis 1960 par exemple, toutes les voies, sans exclusive, d’un quartier résidentiel ont été bitumées. Il s’agit de la Haie-Vive. Il faut ajouter à cela le programme « asphaltage » qui impacte positivement plusieurs communes du pays, sans compter l’embellissement du boulevard de la Marina et beaucoup d’autres projets encore.

Source: Le Tabloïd Togo

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