La célérité des évènements ayant conduit au report des élections présidentielles au Sénégal fait penser à un coup préparé et mûri. Avec un Karim Wade, peint en toile de fond, comme victime d’un complot du Conseil Constitutionnel, Macky Sall s’octroie dix (10) mois de plus à la Présidence de la République Sénégalaise. Mais à qui profite véritablement ce report ?
Au Sénégal, comme généralement en Afrique (depuis l’ère des toilettages constitutionnels inaugurée par le Togo), la Constitution a perdu son caractère sacro-saint. Afin de permettre à l’actuel Président de la République de proroger son mandat au-delà du 02 avril 2024, date à laquelle il devrait passer le témoin à un successeur élu, les députés de la majorité ont modifié la loi fondamentale en son article 31 qui prévoit en substance que l’élection du Président de la République ait lieu 45 jours au plus et 30 jours au moins avant la date de l’expiration du mandat de celui en fonction.
Au regard des conditions dans lesquelles cette modification est intervenue, de nombreux observateurs estiment qu’il s’agit d’un véritable coup de force. Pour le Président de la Commission Sénatoriale des relations étrangères des Etats-Unis, le démocrate Ben Cardin : « le mépris flagrant du président Macky Sall pour la Constitution sénégalaise et son manque de respect flagrant pour le soutien du peuple sénégalais à la démocratie sapent des décennies de progrès depuis l’indépendance dans ce qui était autrefois considéré comme l’une des démocraties les plus fiables et les plus dynamiques d’Afrique ». Le Sénateur américain estime que « le président Sall doit revenir sur cette décision irresponsable et garantir la tenue des élections avant la fin de son mandat constitutionnel ».
Pour cependant justifier sa décision, le président sénégalais évoque des suspicions de corruption au niveau des juges du Conseil Constitutionnel qui, estime-t-il, ont validé et invalidé à tort certaines candidatures. Et dans cette analyse, c’est le candidat Karim Wade du Parti Démocratique Sénégalais (PDS) qui est mis en avant. Il est d’ailleurs maintes fois cité dans le rapport de la session parlementaire ayant voté la proposition de loi portant dérogation aux dispositions de l’article 31 de la Constitution.
Même si aujourd’hui, du côté du PDS on se félicite de ce report en estimant que justice sera faite par une réintégration de Karim Wade à la liste des candidats, il faut savoir raison garder.
En effet, le pouvoir de Macky Sall n’avait pas hésité dans un passé assez récent à écarter le même Karim Wade de la course à la présidentielle. Ainsi, on serait bien tenté de donner raison aux analystes politiques qui pensent que ce report ne profite qu’à l’actuel Chef de l’Etat Macky Sall.
Répondant aux sollicitations des confrères de la BBC, le journaliste sénégalais Babacar Domingo Mané déclare que « Macky Sall n’a jamais voulu aller à ces élections ». Selon ce doctorant en communication politique, le Chef de l’Etat sénégalais va profiter de ce temps pour mieux rebattre ses cartes. Il s’agira probablement de trouver un autre poulain pour remplacer Amadou Bâ en qui la confiance s’est effritée, et certainement rechercher des moyens pour mettre définitivement hors course une candidature du Pastef.