Togo- Assassinat de S. Olympio/Godwin Tété: « Eyadema n’a jamais dit clairement si c’est lui… »

Dans une interview accordée au confrère “Togo Scoop Info”, Dr Godwin Tété revient sur l’assassinat du premier Président de la République togolaise, Sylvanus Olympio. Il donne les détails croustillants et les raisons de cet assassinat.

Qui était Sylvanus Olympio ?

Godwin Tété : Je me dois avant tout de vous remercier pour l’honneur que vous me faites de venir chez moi me poser une telle question. Je me dois de vous en remercier. C’est un honneur.

D’abord, pour moi nous ne pouvons pas écrire une encyclopédie sur le personnage, nous sommes obligés de résumer, de synthétiser. Sylvanus Olympio est non seulement le Père de la nation togolaise mais aussi le Père l’indépendance du Togo. Si vous allez aujourd’hui au Ghana, le Père du Ghana est Kwamé Nkrumah, vous allez en Turquie c’est Kemal Atatur, vous allez en Egypte c’est Gamal Abdel Nasser. Vous allez en Inde c’est Mahamat Gandhi donc au Togo pour moi le Père de l’indépendance, c’est Sylvanus Kwami Epiphanio Olympio. Non seulement, il est père de la nation parce qu’il a dirigé le mouvement de bout en bout, il est également le père de l’indépendance parce que c’est lui qui l’a proclamée qu’il plaise ou pas c’est lui qui l’a proclamé.

Olympio est un descendant de ce qu’on appelait des afro-brésiliens. Son grand-père était un mélange de Portugais et d’Améridienne (les indiens d’Amérique), son père est fils de Yoruba et sa mère est une Mamprusi, les Mamprusi sont à cheval entre le Ghana et le Togo. Sa mère était d’ailleurs une esclave, très peu de Togolais le savent. On l’avait envoyé chercher du bois dans la forêt quand elle s’est fait attraper par les Peuhls qui jouaient ce rôle-là. On venait les vendre dans les familles aisées, à l’époque, à la plage en l’occurrence dans la famille Olympio, revenu du Brésil. Et comme elle était très belle, le père de Sylvanus en a fait une de ses épouses, il en avait un certain nombre déjà.

Je dis qu’il est le Père de la nation et de l’indépendance, en dehors des bouquins que j’ai écrit, il y a ceux de Atsutsè AGBOGBLI qui démontre que Sylvanus Olympio mérite ce titre-là. Il a dirigé de bout en bout la lutte pour l’indépendance. Voilà ce que je dirai sur le personnage, aller dans les détails, il nous faudra écrire une encyclopédie.

Que garde-t-on aujourd’hui de lui ?

Godwin Tété : Les Togolais de bonne volonté gardent de lui l’homme qui a proclamé l’indépendance. Au moins ça, pour ne pas dire qu’ils le considèrent comme le père de l’indépendance, le père de la nation. Au moins, ils savent que c’est lui qui a proclamé l’indépendance le 27 avril 1960. Et puis évidemment, il y a son assassinat, peut-être que tous les Togolais ne le savent pas il est mort par assassinat, il n’est pas mort de mort naturelle. Il a été assassiné.

Pourquoi il a été assassiné ?

C’est une question cruciale. Ma thèse personnelle est que Sylvanus Olympio au départ ce n’était pas nos militaires qui sont revenus des guerres de Vietnam et d’Algérie qui voulaient le tuer. D’ailleurs, Eyadema n’était pas le chef des putschistes, le chef était Emmanuel Bodjolé. Lorsque Eyadema a déclaré qu’il venait de tuer Sylvanus Olympio, Bodjolé l’a pris et l’a jeté en prison en disant que : « nous n’avons pas demandé de le tuer. Nous voulions le neutraliser pour pouvoir entrer dans l’armée togolais, nous n’avons pas dit qu’il fallait le tuer ». C’est le commandant français Georges Maitrier qui était intervenu pour faire libérer Eyadema.

Mais d’où vient la mort de Sylvanus Olympio ? Sylvanus Olympio venait de créer une monnaie nationale togolaise. Pour la France de De Gaulles, de Foccart, ce monsieur il y a longtemps qu’il nous emmerde. Cette fois-ci ça n’aura pas marché. Sekou Touré peut créer une monnaie, il va échouer parce qu’il ne s’y connait pas mais Sylvanus Olympio est sorti brillamment de la London school of economic international lord, l’école, la seule qui existait à l’époque, il faut aller en Autriche pour trouver à peu près une similaire. A l’école internationale d’économie et de droit international, l’homme en était sorti avec brio. Non seulement il était sorti avec la théorie mais le job qu’il a fait prouve qu’il s’y connaissait, il allait réussir.

Lorsqu’il a pris la décision, il a dit que vous ne pouvez pas prétendre être indépendant et utiliser la monnaie d’autrui parce que la monnaie relève de la souveraineté nationale par définition. Et il a demandé à De Gaulles de l’aider à créer sa monnaie et à sortir de la zone franc. De Gaulles a dit non ! Il s’est tourné vers les Anglais, les Allemands et les Américains et ce que je vous dis ce n’est pas de l’imagination de Godwin Tété. Mais c’est feu Rodolphe Trenou qui a été le directeur de cabinet de Sylvanus Olympio qui me l’a confié quelque temps avant sa mort.

Non seulement les Allemands, les Anglais et les Américains, eux ont accepté, ils ont avancé des fonds pour favoriser, pour faciliter l’opération. Tout cet argent Sylvanus l’aurait déposé dans une banque en Suisse. Donc fondamentalement, ce qu’on a appelé la françafrique qui a instrumentalisé nos militaires revenus des guerres d’Algérie et du Vietnam pour assassiner Sylvanus Olympio qui venait de créer la monnaie togolaise et on attendait seulement la fête de l’indépendance pour la mettre en circulation. Pour moi et pour beaucoup de Togolais qui ont cherché à comprendre la véritable raison de l’assassinat de Sylvanus Olympio. Sans compter le fait qu’on lui en voulait depuis longtemps.

Lors de mes recherches j’ai trouvé dans la bibliothèque de l’ancien ministère des Colonies à Paris des rapports archi-confidentiels que des gouverneurs envoyaient au ministre en écrivant que la France n’avait pas d’ennemi au Togo à l’exception de Sylvanus Olympio mais ils ajoutaient immédiatement l’homme est intelligent. Cela veut dire qu’ils suggéraient soit qu’on l’enlève du Togo ou on l’élimine. La preuve c’est qu’à un moment donné l’UAC (United africa company) a proposé à Sylvanus Olympio de l’affecter à Paris. Sylvanus Olympio a compris qu’on voulait l’éloigner de la vie politique du Togo et il a démissionné.

Pour moi, la raison fondamentale de l’assassinat de Sylvanus Olympio c’est la création de la monnaie togolaise. Et ce problème est toujours à l’ordre du jour aujourd’hui avec le prof Nubukpo qui est le neveu d’un des grands militants de la JUVENTO qui a remis le problème sur le tapis et tout le monde en parle. Il n’y a que le président ivoirien Alassane Ouattara qui joue le rôle du grand fançafricain.

Pour me résumer disons au départ qu’Eyadema voulait être intégré dans l’armée togolaise. Sylvanus Olympio avait sa philosophie concernant la défense nationale. C’est la philosophie de Jean Jaurès selon laquelle on forme tous les citoyens d’un pays donné. Si un ennemi venait à attaquer le pays  on distribue des armes ; on ne créé pas une armée, on l’entretien alors qu’elle ne produit rien.

Eyadema était-il réellement l’auteur de son assassinat ?

Godwin Tété : « Lorsque nous l’avons sorti de la voiture. Il était caché dans une voiture située dans la cour de l’ambassade des Etats-Unis lorsque nous l’avons sorti nous avons dit de marcher le jour approchait, c’est un homme politique. La foule allait s’amasser et moi je l’ai descendu », avait déclaré Eyadema.

Beaucoup plus tard un de ses collègues, je parle d’Eyadema, le Commandant Robert Adewui, s’est brouillé avec lui. Il déclare que ce n’est pas Eyadema qui a tiré. Ce serait un blanc. Mais Eyadema n’a jamais démenti. Il n’a jamais dit le contraire.

Lorsque à la conférence nationale, nous avions commencé par l’acculer il a fait une déclaration sibylline : « on dit que moi j’ai tué Sylvanus Olympio ; moi je n’étais qu’un sous fifre à l’époque ». Qu’est-ce qu’il a voulu dire par là ?

La rumeur a couru que ce n’était pas lui, il y a des Togolais bien placés qui disaient que ce n’était pas un Noir qui a tiré, c’est un Blanc. Eyadema n’a jamais dit clairement si c’est lui. Autre chose, j’ai eu à connaitre plus tard ce ministre Victor Alipui qui est mort il n’y a pas longtemps. Victor a été ministre des Finances. Il m’a dit plus d’une fois que quand nous nous trouvions en groupe très restreint avec Eyadema, il a toujours dit que c’est lui. Il n’a pas dit qu’il a tiré mais que le feu est parti comme ça.

Jusqu’au jour où un dossier spécial nous montrera que c’est vraiment un Blanc qui a tiré sur la gâchette et non Eyadema nous sommes obligés de croire ce que Eyadema puisque lui-même a déclaré et des journaux qui étaient sur place comme Paris match l’ont répété.

Sylvanus Olympio s’est caché dans une voiture quand l’ambassadeur américain Léon Poullada a appris qu’on cherchait le président.  Dans la cour de l’ambassade avec une torche il voit le président dans la voiture. Il lui dit : « restez ici, je m’en vais chercher les clés du bureau pour vous donner l’asile ». Mais Léon Poullada jusqu’à l’heure où nous parlons, on ne sait pas comment un grand ambassadeur comme celui-ci, censé être expérimenté quand il quitte Sylvanus Olympio il va appeler Henri Mazoyer qui était l’ambassadeur de France sous prétexte qu’il était le doyen du corps diplomatique or le courant ne passait pas entre la France et Sylvanus Olympio, entre l’ambassadeur Henri Mazoyer et la France, entre Georges Maitrier et Sylvanus Olympio que la France a envoyé à Sylvanus Olympio comme conseiller alors que c’est lui qui a zigouillé les UPCistes au Cameroun, 300 personnes ; Sylvanus Olympio ne savait pas. C’est son cousin, feu François Amorin, petit oncle de Tavio Amorin, qui lui étant en contact avec les UPCistes a appris que ce Georges Maitrier était le plus grand tueur que De Gaulles a envoyé. Quand Sylvanus Olympio l’a su il voulait s’en débarrasser pour le remplacer par un certain Michel Bawena, un Losso, qu’il voulait nommer comme conseiller. Mais c’était trop tard.

Sylvanus Olympio était devenu ennemi de la France, ennemi de l’ambassadeur, ennemi de Georges Maitrier et dont Sylvanus Olympio ne voulait pas renouveler le contrat. Poullada qui était censé savoir que le courant ne passait pas entre la France et Sylvanus Olympio, appelle l’ambassadeur de France, ce dernier appelle Georges Maitrier et ce dernier appelle les militaires, les Eyadema pour leur dire que leur homme est dans la voiture dans la cour de l’ambassade ; « si vous ne réglez pas son compte c’est lui qui vous butera ».

Voilà comment Sylvanus Olympio a été déniché. C’est une balle mitraillette. Certaines balles ont traversé la poitrine, il y a en a une qui a broyé le bas-ventre, le tueur trouve le moyen de lui sectionner les veines, les cuisses…

C’est un proche parent Pierre Tétégan qui travaillait à l’hôpital de Tokoin sous les ordres d’un médecin allemand, un coopérant qui me donna ses détails. C’est quand ce médecin a appris l’assassinat du président et que son corps gisait parterre a demandé à Tétégan d’aller formoler le corps. C’est pourquoi il a été témoin oculaire.

C’est le Père Gbikpi qui a récupéré le corps et l’a transféré dans un véhicule camouflé à Agoué par un certain Dagloria qui était un afro-brésilien. Et l’enterrement a eu lieu deux jours plus tard à Agoué. La rumeur dit qu’on ne l’a pas enterré, que le corps est gardé dans la maison de son père pour un jour être transféré ici. Mais les afro-brésiliens sont enterrés à Agoué Djigo pour la simple raison que quand leurs ancêtres sont venus. Agoue a été leur point de chute c’est pourquoi symboliquement ils enterrent leur corps là-bas. Mais le cas de Sylvanus Olympio a été un cas particulier. C’est encore une fois le père de la nation togolaise mais aussi de l’indépendance. Normalement ces restes doivent être enterrés ici dans un mausolée. Il en été question lors de la conférence nationale. Mais en même temps, nous-mêmes et les conférenciers et la famille on s’est dit que la démocratie n’est pas encore arrivée si on ramène ce corps on ne sait pas ce qu’on va en faire. Nous le laissons là-bas jusqu’au jour où la démocratie réelle s’installera au Togo on verra.

Interview réalisée par Albert AGBEKO

Source : Togoscoop