LA FIN DE LA GESTION PAR PROCURATION EN AFRIQUE : Le peuple africain doit profiter des recettes des matières premières !

Bien que le discours ambiant promu par les dirigeants politiques promeuve l’évolution vers des énergies propres, la réalité est que les énergies fossiles représente en 2022 entre 78-82 % de la consommation mondiale et principalement des pays industrialisés occidentaux, entre 94-98 % au Moyen-Orient et en Afrique du Nord et seulement autour de 40-44 % dans la consommation de l’Afrique subsaharienne.

1. SOUVERAINETÉ ÉNERGÉTIQUE : OPTER POUR LA DÉFENSE DES INTÉRÊTS COLLECTIFS AFRICAINS

Autrement dit, le pétrole et le gaz seront encore présents et représenteront une part non négligeable dans les consommations humaines en 2045. La part des énergies renouvelables et autonomisant l’utilisateur progressera sans pour autant dans l’immédiat pouvoir remplacer les hydrocarbures dans le mix-énergétique[1]. Aussi, le type de gouvernance choisi par les dirigeants africains pour structurer les nouvelles recettes tirées actuellement des prix élevés des hydrocarbures et la volonté de certains pays européens de diversifier leur approvisionnement du fait de leur conflit avec la Russie, pourraient devenir déterminants.

Entre opportunité, risques et menaces, l’Afrique se trouve partagée entre exportateurs nets et importateurs nets d’hydrocarbures qui pourraient avoir des trajectoires diamétralement opposées, au point de voir leur sécurité et souveraineté énergétiques s’évanouir du fait d’une mauvaise gouvernance stratégique dans la recherche de contrats non soumis à des appels d’offres mondiaux. Si la volonté d’indépendance des approvisionnements en provenance de la Fédération du Russie semble idéologiquement devenue une urgence affichée par les dirigeants de pays comme la France ou l’Italie, les motivations sont bien différentes pour ceux l’Allemagne. Ce pays a depuis des décennies une conception des relations internationales fondée sur la « realpolitik ». De ce fait, de nombreux dirigeants allemands ont tissé des liens très étroits avec les grandes sociétés russes de production et d’approvisionnement en hydrocarbures. La preuve en est fournie par l’ancien Chancelier Gerhard Schröder qui en pleine crise ukrainienne, après avoir été président comité d’actionnaires de Nord Stream 2, nouveau gazoduc qui relie la Russie à l’Allemagne, figure sur la liste des candidats au conseil d’administration du groupe Gazprom[2], après des passages auprès de Rosneft[3].

Aussi, l’Afrique doit d’abord défendre ses intérêts en s’organisant collectivement sur le marché de chaque matière première énergétique et surtout s’assurer de ne pas payer en retour et plus cher, les gains de court terme du fait de l’impasse que constitue leur choix politique de ne pas transformer le pétrole, le gaz et autres matières premières en Afrique, avec du personnel africain.

2. DES OPPORTUNITÉS DE RECETTES ASSOMBRIES PAR UNE ABSENCE DE STRATÉGIE ÉNERGÉTIQUE

Selon le dernier rapport 2021 de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), l’Afrique exporte actuellement plus d’un tiers de ses combustibles extraits. Mais les besoins locaux sont de plus en plus pressants. Aussi, la volonté des certains pays occidentaux de s’affranchir du pétrole et du gaz russe conduit à privilégier l’achat des hydrocarbures africains. Cela pourrait se traduire par :

  • Une opportunité pour les pays africains exportateurs d’engranger des recettes financières ;
  • Une opportunité pour les régimes autocratiques et fondés sur la contre-vérité des urnes de retarder l’émergence de la démocratie participative et effective en Afrique ;
  • Un retard dans la mise à disposition d’énergie abordable pour les populations africaines puisque l’essentiel des recettes pourrait ne servir qu’à payer des dettes passées ;
  • Un accroissement du risque d’accentuation de la corruption au sommet de l’Etat du fait de l’impossibilité d’accéder à la vérité des comptes publics dans de nombreux pays africains ; et enfin
  • Une perte de souveraineté pour les dirigeants africains qui choisiront d’offrir ces hydrocarbures en dessous du prix du marché en échange d’une non-ingérence dans leurs affaires intérieures, autrement dit, d’obtenir la bénédiction de pays occidentaux pour les soutenir pour conserver le pouvoir et défendre les intérêts occidentaux en Afrique.
3. GRÂCE AUX NOUVELLES DÉCOUVERTES, LES RÉSERVES PÉTROLIÈRES AFRICAINES NE S’AMENUISENT PAS !

Bien que regorgeant de ressources énergétiques, que mauvaises langues occidentales mal intentionnées prédisent régulièrement comme s’amenuisant par le jeu d’une communication dirigiste, les réserves pétrolières africaines, connues à ce jour, représentent près de 10 % des réserves mondiales et demeurent mal-exploitées. Pourtant, entre 2022 et 2045 et avec une population africaine qui va s’accroître et s’urbaniser de plus en plus, la demande énergétique des populations africaines va augmenter d’une manière exponentielle. Les dirigeants des Etats africains s’approprient de plus en plus les nouvelles réserves de gisements d’hydrocarbures qui sont découvertes, ce qui n’était pas toujours le cas auparavant du fait des coalitions des grandes multinationales pétrolières occidentales.

Le cas du Ghana par exemple qui a accédé au 9e rang du classement des 10 premiers pays producteurs de pétrole d’Afrique était impensable, il y a encore 10 ans.

Pourtant, si les dirigeants africains ne s’organisent pas pour répondre collectivement à cette demande énergétique sous forme d’un mix-énergétique promouvant les énergies renouvelables et alternatives – la prise de conscience des populations et d’un secteur privé africain riche et de plus en plus proche des populations aidant -, il n’est pas impossible, que les représentants de cette population ne se décident à prendre la place des élites gouvernementales. L’enjeu est de taille. Car entre les coalitions publiques-privées sur le dos des populations et les partenariats publics-privés au service des populations, les dirigeants africains ont prouvé par le passé que c’est plutôt la première option qui a prévalu. Cela doit changer ! Le cas du Nigéria, avec le milliardaire et patron d’entreprises panafricaines, Aliko Dangote mérite d’être mis en exergue (voir plus bas, chapitre 5).

4. HYDROCARBURES SANS TRANSFORMATION EN AFRIQUE : INCLUSIVITÉ DES PEUPLES AFRICAINS ?

Les hydrocarbures, composés essentiellement d’atomes de carbone et d’hydrogène, sont des ressources énergétiques essentielles pour l’économie humaine. Il faut faire référence au pétrole, au gaz naturel et au charbon. Le problème est qu’ils sont aussi une source de génération de gaz à effet de serre, ce qui constitue un sérieux problème pour la préservation de l’environnement et de la biodiversité, et à terme pour la vie même sur la terre.

Pour satisfaire les besoins en énergie dans le monde et en Afrique en particulier, le pétrole et le gaz sont au cœur d’un système de levier pour générer de la valeur ajoutée. Tous les secteurs vitaux sont dépendants de ces deux matières premières qui nécessitent toutefois souvent une transformation en produit fini. Ce sont souvent ces produits raffinés ou manufacturés dérivés de la matière première brute qui sont utilisés, et contribuent au bien-être humain, si le respect et la préservation de l’environnement et de la biodiversité sont pris en compte en amont et en aval du processus de transformation.

L’utilisation du pétrole et du gaz dans le processus productif humain génère de la croissance économique, elle-même génératrice de développement, qui doit encore prendre en compte le besoin d’inclusivité des populations. C’est donc cette absence d’inclusivité d’une grande majorité des populations africaines qui pose le problème de la gouvernance du pétrole et du gaz dans les pays africains.

Entre l’extraction, l’exportation des hydrocarbures sans transformation, la réimportation de ces mêmes hydrocarbures en produits raffinés et transformés, l’organisation du stockage et des réserves stratégiques pour un pays ou une région comme l’Afrique, se pose le problème de la sécurité énergétique et l’autosuffisance énergétique. En fait, c’est le problème de l’indépendance et de la souveraineté des pays africains qui est en jeu. Lorsqu’en matière de gouvernance énergétique et pour transformer le pétrole et le du gaz issu du sol africain, les dirigeants africains dans leur grande majorité continuent à pérenniser leur préférence pour une sous-traitance à l’étranger par les majors pétrolières occidentales, ce au motif prioritaire de la préservation de leur intérêt personnel.

5. LIBERER L’AFRIQUE DES CARTELS OCCIDENTAUX, RUSSES ET CHINOIS DE L’INDUSTRIE PETROLIERE EN AFRIQUE : UNE CHIMERE ?

En filigrane, il faut constater que chaque fois que les pays producteurs d’hydrocarbures décident d’augmenter les prix ou qu’une crise internationale contribue à réduire la disponibilité du pétrole et du gaz, le monde connaît une hausse significative des prix. On ne peut reprocher à des pays d’augmenter leur souveraineté et donc leur capacité à agir pour le bien de leur population. Mais lorsque survient la corruption et la lutte violente pour la captation de la rente[4], il faut bien reconnaître que ces élites prédatrices s’accaparent le bien commun au détriment du Peuple africain. Personne ne doit oublier que les principaux pays dépendants de l’énergie sont les pays industrialisés. Aussi, lorsque la souveraineté des pays fournisseurs augmente, elle est souvent confrontée au rôle dominant des cartels occidentaux de l’industrie pétrolière et gazière comme BP, Chevron, Exxon, Gulf, Mobil, Shell, Texaco, Total Energies, Eni, etc., dont l’influence sur les dirigeants politiques locaux se traduit souvent par des ingérences prégnantes et des interventions intempestives. Il est permis d’observer que ces pratiques sont aussi pratiquées par les cartels russes ou chinois qui ne sont pas en reste. Dans le cas de la Chine, le personnel d’exploitation en Afrique demeure majoritairement chinois, au point que certains estiment que la Chine occupe les emplois des Africains en Afrique, et s’assurent systématiquement les rôles de décideurs. Il faut nuancer entre les dossiers publics et ceux privés ou public-privés. En effet, la corruption n’est pas absente des grands dossiers où interviennent les grands décideurs chinois. Ce phénomène est aussi palpable, mais a moindre échelle, avec le secteur prié du Qatar ou des Emirats arabes unis.

Il faut donc constater que la gouvernance des dirigeants africains producteurs de pétrole brut et de gaz naturel n’a pas permis de faire émerger de véritables entreprises multinationales de transformation de ces matières premières sur le sol africain. Il est vrai que le milliardaire et industriel nigérian Aliko Dangote devrait ouvrir une raffinerie de pétrole au Nigéria en 2022[5] avec une participation de 20 % de la société nationale pétrolière nigériane (NNPC – Nigerian National Petroleum Corporation). Il s’agit là encore d’une initiative du secteur privé et non du secteur public. Selon le Groupe Dangote, les perspectives à moyen terme de l’Afrique semblent plus optimistes avec 1,2 million de barils par jour (mb/j) de nouvelle capacité attendue d’ici 2026, dont la moitié doit être représentée par le projet de raffinerie de pétrole Dangote au Nigeria, d’une capacité de raffinage de 650 000 barils/jour, qui devrait entrer en service en 2022.

C’est en cela que la gouvernance énergétique des dirigeants africains pose problème. Ces derniers ont systématiquement et collectivement privilégié l’exportation de produits non transformés sans se soucier des conséquences stratégiques et à long-terme sur leur souveraineté et leur dépendance en cas de changement brusque de conjoncture économique ou géopolitique. Parfois, la préférence pour la dépendance envers les cartels pétroliers (occidentaux et de plus en plus russes, arabes ou chinois) dès lors que le financement de leur maintien au pouvoir, par des coups d’Etat constitutionnels, est assuré, pose problème au point de générer un « blues démocratique », selon le professeur Francis Laloupo[6].

En réalité, il s’agit d’une multitude de facteurs d’empêchement de l’émergence de la vérité des urnes et de la vérité des comptes publics en Afrique, y compris dans les pays comme le Bénin, considéré naguère comme un modèle. Il en va de même pour le Togo où une dynastie militaro-civilo-ésotérique dite « système Gnassingbé » s’est approprié le pouvoir et la captation de la richesse nationale, depuis 1967, avec le soutien permanent des gouvernements successifs de la France toutes tendances politiques confondues. En réalité, l’alignement sur les intérêts occidentaux a fini par générer des formes nouvelles d’autocratie. Il ne s’agit ni plus, ni moins que de révisionnisme démocratique en Afrique avec une tendance des anciennes puissances coloniales occidentales et des conservateurs africains à nier ou à minimiser l’illégalité des coups d’Etat constitutionnels tout en soutenant à bras le corps les régimes africains issus de la contrevérité des urnes et de la contrevérité des comptes publics. L’exemple récent du soutien d’Emmanuel Macron au coup d’Etat institutionnel du Tchad, alors qu’il vilipende le coup d’Etat au Mali, tend à montrer la capacité d’adaptation du révisionnisme françafricain au point de tirer parti d’un coup d’Etat maquillé par la mort au front de celui a qui toujours et religieusement servi les intérêts français au Tchad, le « Maréchal Idriss Deby ».

A la lumière de ces quelques cas, le fait de tenter de libérer l’Afrique de l’influence des cartels occidentaux, russes et chinois de l’industrie des hydrocarbures ou d’autres industries issues des richesses minières du sous-sol en Afrique peut apparaître comme une illusion, dès lors que ces entreprises bénéficient systématiquement d’une sorte de soutien tacite des Etats sous forme de pressions, de sanctions, de suspensions ou coupures d’aides au développement ou de médiatisation de scandales liés à la corruption ou aux mœurs, vrais ou faux. La résultante est que les dirigeants africains finissent par en accepter les règles dès lors qu’ils peuvent conserver le pouvoir et capter sans entraves la rente qui lui est attachée. La vérité est que cela se fait systématiquement sur le dos des Peuples africains, laissés pour compte ou parfois mystifiés par quelques hochets de pacotille en regard des intérêts en jeu, tels des concerts musicaux ou des distributions de bricoles par de multiples organisations non gouvernementales, souvent financées et cornaquées par les multinationales, pour servir de cheval de Troie, au double sens mythologique et informatique[7].

6. MIX-ENERGÉTIQUE : EVOLUTION DE LA DEMANDE MONDIALE

Selon l’Organisation des pays exportateurs du pétrole (OPEP), la part du pétrole et du gaz dans le mix-énergétique mondial demeurera prépondérante entre 2021 et 2045. Il y aura toutefois une légère évolution de la demande mondiale :

  • le pétrole passerait de 30 % en 2020 à 28,1 % en 2045 ; et
  • le gaz, passerait de 23,3 % en 2020 à 24,4 % en 2045 ; et
  • le charbon diminuerait drastiquement passant de 26,5 % en 2020 à 17,4 % en 2045 ;
  • le nucléaire évoluerait de 5,2 % en 2020 % à 6,2 % en 2045 ;
  • l’hydroélectricité augmenterait faiblement de 2,7 % en 2020 à 3,0 % en 2045 ;
  • la biomasse évoluerait peu passant de 9,9 % en 2020 à 10,5 % en 2045 ; et enfin
  • les autres énergies renouvelables dont l’éolien et le solaire connaîtront une croissance fulgurante passant de 2,5 % en 2020 à 10,4 % en 2045[8].

L’Afrique pourrait augmenter légèrement sa part dans le pétrole, le gaz, l’hydroélectricité et les autres énergies renouvelables en fonction des stratégies et gouvernances énergétiques adoptées aujourd’hui en 2022.

7. CLASSEMENT DES PAYS AFRICAINS PRODUCTEURS DE PÉTROLE

Il n’est pas possible de comprendre les choix stratégiques de gouvernance des pays africains sans rappeler le classement des pays producteurs de pétrole en Afrique en 2022. Ce classement est appelé à évoluer puisqu’une partie importante des informations n’apparaissent pas du fait de la corruption et des accords secrets avec des pays tiers ou des entreprises multinationales du secteur. Par ailleurs, le potentiel africain est en augmentation compte tenu de la diversification des sources d’informations sur le sous-sol africain et son contenu.

PAYS PRODUCTEURS DE PETROLE D’AFRIQUE
RangPaysProduction pétrolière en barils par jour
1Nigeria2 037 000
2Angola1 707 000
3Algérie1 641 000
4Libye4 852 000
5Egypte653 000
6Congo (République) – Brazzaville354 000
7Guinée Équatoriale206 000
8Gabon198 000
9Ghana152 000
10Soudan du sud150 000
11Afrique du Sud132 000
12Tchad130 000
13Soudan105 000
14Cameroun81 000
15Côte d’Ivoire55 000
16Tunisie38 000
17Congo Démocratique (République) – Kinshasa19 000
18Niger11 000
Source : Classement des pays producteurs de pétrole en Afrique. 22 février 2022. Accédé le 26 avril 2022. Voir https://organismes.org/classement-des-pays-producteurs-de-petrole-en-afrique/?msclkid=0886f12cc56211ecba0b48f51bb01225

Selon l’OPEP, La Russie produit au cours de ce premier trimestre de 2022 autour de 11,26 millions de barils/jour, soit 6 fois plus que le Nigéria et en plus assure le raffinage, ce qui n’est pas le cas du Nigéria. Le risque pour les pays africains de ne vendre exclusivement qu’aux pays occidentaux en guerre contre la Russie est d’assécher leurs stocks et leurs réserves financières en cas de retournement de situation, tant des prix que de la position des Occidentaux.

8. FÂCHEUSE GOUVERNANCE AFRICAINE DES HYDROCARBURES : AMENUISEMENT DES STOCKS DE RESERVE DES PRODUITS RAFFINES

Le continent africain ne manque pas de ressources énergétiques, et détient environ 10 % des réserves mondiales de pétrole. Pourtant collectivement, les dirigeants africains n’arrivent pas à répondre à la demande croissante d’énergie et offrir un prix stable et abordable, indispensable pour une croissance économique fondée sur l’industrialisation. La production énergétique de l’Afrique représente moins de 5 % de la production énergétique mondiale et devra prendre en compte la réduction de CO2 dans les activités d’exploration et de production. La consommation d’énergie par habitant en Afrique est inférieure à la moyenne mondiale, et les inégalités demeurent prépondérantes[9] entre les zones rurales et urbaines africaines.

L’Afrique dépend fortement des revenus des combustibles fossiles pour une croissance économique soutenue et soutenable. Mais les conséquences de la crise financière 2008, puis de la crise sanitaire de 2021 du coronavirus COVID-19, et celles de la guerre entre l’OTAN et la Russie sur le sol ukrainien en 2022, ont contribué à une réduction des importations africaines, mais aussi une chute des recettes tirées des exportations de matières premières africaines non transformées comme le pétrole et le gaz.

Les conséquences sont, entre autres, un impact direct sur les stocks de réserve des produits raffinés en Afrique, mais aussi sur les produits alimentaires au point où une crise alimentaire ciblée dans certains pays n’est pas à exclure. De plus, les pays non exportateurs de ces hydrocarbures qui ne pourront pas profiter de la remontée des prix, verront une chute drastique des recettes d’exportation et un déclin de la capacité des gouvernements à répondre aux préoccupations urgentes des populations africaines.

Les pays producteurs qui profiteront des prix élevés des hydrocarbures risquent de voir ces nouvelles rentrées servir à solder des dettes anciennes. Donc c’est tout une conception nouvelle de la productivité énergétique qui doit devenir l’objectif des pays africains dans une perspective de maîtrise de l’usage de l’énergie. Outre la diversification, une démultiplication et des incitations pour les énergies alternatives, dont le solaire, il faudra nécessairement revoir les niveaux élevés de consommation énergétique dans les secteurs comme le transport, les usages domestiques comme la cuisine, la ventilation et la climatisation, ou encore les secteurs industriels avec des industries obsolètes et grandes consommatrices d’énergie. Les infrastructures énergétiques et la promotion de la production énergétique des ménages sont des pistes stratégiques à ne pas négliger.

9. VERS L’AUTOPROMOTION DE L’AUTOSUFFISANCE : ENERGETIQUE, SECURITAIRE ET ALIMENTAIRE

En 2022, l’Afrique exporte officiellement en principe plus d’un tiers des combustibles qu’elle extrait sans les transformer. Alors, est-ce que l’Afrique prendrait un gros risque en vendant une plus grande part de ses hydrocarbures en rangs dispersés à l’Union européenne sans en tirer une contrepartie ? La réponse est oui ! il y a des risques négatifs et des risques positifs. Le principal risque, malgré l’opportunité de façade, demeure la réduction de ses stocks de réserves stratégiques en cas de retournement de situation sur les prix actuellement élevés du baril du pétrole (au-dessus de 100 $EU le baril au 26 avril 2022) …

En effet, avec une augmentation des stocks mondiaux dus à la fin des sanctions contre l’Iran, le prix pourrait tomber autour de 60 $EU, ce qui limiterait à nouveau les marges de manœuvre économiques des pays africains exportateurs, et améliorerait substantiellement le budget des pays africains importateurs.

Lorsque le risque d’augmentation du prix du pétrole raffiné en Afrique se conjuguera avec l’augmentation des prix des céréales, des engrais et autres importations dont l’Afrique s’est rendue dépendante en négligeant les produits locaux, cela peut conduire les Africains à prendre conscience de compter plus sur eux-mêmes que sur l’Etat africain… La volonté individuelle et collective de se passer de l’Etat africain ne défendant plus les intérêts des peuples africains, pourrait se traduire par l’autopromotion de l’autosuffisance aux plans énergétique, sécuritaire, qu’alimentaire, tant au niveau des ménages africains, que d’un secteur privé africain patriote avec une amélioration de la productivité à l’hectare à partir des engrais naturels et africains par les agriculteurs africains.

10. DÉFENDRE LES INTÉRÊTS DU PEUPLE AFRICAIN : BASER LES STRATEGIES SUR DES ANALYSES MULTICRITERES

En définitive, l’Allemagne n’est pas dans la même logique guerrière que celle des Etats-Unis et de la France. Il suffit de se rappeler la position de l’Allemagne dans le cas de l’agression de la Libye par l’OTAN et celle de la France. Cela pourra se renouveler pour le Mali, le Burkina-Faso, la Guinée qui finissent par comprendre le rôle de sous-traitance de quelques chefs d’Etat ayant cannibalisé la commission de la CEDEAO.

Il n’est pas possible d’avoir des représailles russes en Afrique. En effet, la direction de la Fédération de la Russie, Vladimir Poutine, n’est pas dans une logique de représailles ou de sanctions unilatérales mais dans une logique de réciprocité dès lors qu’il considère qu’il y a une agression contre les intérêts supérieurs de la Russie. Les campagnes médiatiques de part et d’autre ne changent pas la réalité de cette logique.

L’Afrique des dirigeants n’est pas dans une logique d’agression mais tente de faire valoir un positionnement de neutralité, de non-alignement ou alors de diversification de ses partenaires du fait des nombreux défauts de « fidélité » des dirigeants occidentaux par le passé.

La réduction de ses stocks de réserves stratégiques en cas de retournement de situation sur les prix doit être pris au sérieux. Aussi, les dirigeants africains, en attendant de s’organiser collectivement, devraient mettre l’accent, entre autres, sur :

  1. le développement des chaines de valeurs avec la construction d’usines pétrochimiques à partir des dérivés du pétrole et évoluer vers le gaz liquéfié ;
  2. l’investissement dans les énergies renouvelables, l’hydroélectricité, notamment les micro/mini centrales hydroélectriques, le solaire avec des micro- et minicentrales solaires/photovoltaïques, par des incitations pour les populations et acteurs privés qui puissent prendre le relais sans oublier l’hydrogène et les usines qui vont avec ;
  3. l’exploitation des métaux rares au lieu de céder des terres agricoles à des puissances étrangères qui utilisent l’agriculture pour s’approprier des terres… ;
  4. la promotion des technologies de l’économie circulaire ayant pour principe d’assurer localement « la réduction, la réutilisation, le recyclage, et l’élimination » de déchets divers considérés comme des intrants, et source de refondation d’une société écologiquement durable en Afrique avec l’assurance de minimiser les impacts environnementaux des émissions de gaz à effets de serre ;
  5. l’augmentation des échanges intra-africains en rendant transparents les check-points officieux et officiels, source de corruption de chicaneries administratives et surtout de retard dans les échanges.

L’ensemble de ces quelques actions ne peut que rendre l’énergie et les chaînes de valeur ajoutée qui lui sont attachées plus efficaces, et donc plus rentables au point de permettre d’offrir l’énergie à des coûts abordables pour les citoyens et pour les entrepreneurs et industriels.

La prochaine crise, vraisemblablement alimentaire, devrait se conjuguer avec la guerre sur le sol Ukrainien entre d’une part, l’OTAN et ses alliés européens et d’autre part, la Russie et ses alliés. Cela pourrait prendre au dépourvu les dirigeants africains qui gagneraient à opter pour des analyses multicritères et moins réagir sur des analyses monocritères dès que des opportunités de faire de l’argent apparaissent à l’horizon. Surtout venant de ceux qui au cours des 50 dernières années n’ont pas substantiellement soutenu la liberté, ni la démocratie, encore moins la souveraineté des peuples africains.

11. LA GESTION PAR PROCURATION DE LA FRANCE EN AFRIQUE A TROUVÉ SES LIMITES : LE FRENCH BASHING AFRICAIN

Les élites africaines qui ont pris le pouvoir par le passé par la force, les coups d’Etat militaires ou constitutionnelles ont démontré face à des crises exogènes leur limite à régler les problèmes à la satisfaction des Peuples. En réalité, le satisfecit provient des intérêts étrangers qu’ils représentent en réalité. Alors, il ne faut pas s’étonner que les mascarades électorales finissent par générer des coups d’Etat militaires, considérés au départ comme salvateurs pour le Peuple africain.

La démocratie représentative calquée sur le modèle français ou occidental[10] ne respecte ni l’esprit, ni les termes des Constitutions en Afrique censées promouvoir les intérêts du Peuple africain. Cela a généré un sentiment d’incompétence et d’impuissance de la démocratie faussement représentative en Afrique et qui peine à offrir des solutions proches des intérêts du Peuple africain. La gestion à distance de cette démocrature par la France avec des dirigeants africains adeptes de la gestion par procuration est en train de prendre fin. Les exceptions de Maurice, du Botswana, du Cap Vert ne doivent pas cacher la réalité des usurpations subtiles du pouvoir par l’élimination des candidats d’opposition en amont ou du refus de la Cour constitutionnelle de dire le droit et d’annuler les élections comme au Ghana.

Mais en Afrique francophone, c’est le fait que le Peuple africain, en grande majorité jeune, a compris que la France a choisi de défendre corps et âme les autocraties africaines. Cette conclusion parfois hâtive a été assimilée à une volonté de recolonisation de l’Afrique francophone par procuration. Pris ainsi en flagrant délit de néocolonisation par procuration et de plus en plus digitalisée, le sentiment du « French bashing[11] » n’est pas un mythe. Ce n’est d’ailleurs pas uniquement un phénomène africain.

Le French Bashing africain n’est pas dans le ressort du dénigrement mais reflète plutôt un sentiment de rejet assorti d’une volonté de ne plus rien à voir avec une « entité nébuleuse » -que sont les dirigeants français, publics ou privés, qui est censée être à l’origine de la plupart des malheurs de l’Afrique, mais l’a toujours nié et l’a promu par dans les médias politiquement correct et « mainstream ».

En réalité, c’est la traduction de la politique ambivalente -deux poids, deux mesures- africaine de la France où celle-ci n’est jamais responsable de rien et a toujours tous bien fait, empêchant d’ailleurs ses médias officiels de prendre le pouls de la volonté de ne plus rien avoir à faire avec les officiels français. Le rejet de l’ambassadeur français et la récusation de l’armée française au Mali doivent se décliner en référence à la mise entre parenthèse de la France après le génocide des Tutsis, des Hutus et des Twas au Rwanda. Ce n’est plus du « French Bashing » … C’est une décision unilatérale de ne plus rien à voir avec la France, au moins pendant la transition politique malienne… A moins que chacun se ressaisisse !

La responsabilité de la France ne peut en aucun cas être « sans faute » alors que certains responsables « hutus » croupissent encore en prison sans « culpabilité avérée ». Une révision exceptionnelle des décisions juridiques assortie de la libération des prisonniers rwandais responsables mais non coupables serait à l’honneur des Présidents Rwandais, Paul Kagamé d’une part, et Français, Emmanuel Macron d’autre part. Pour le Mali, l’impertinence d’Emmanuel Macron doublée de sa déclaration intempestive considérant un régime malien issu de deux coups d’Etat comme « illégitime » relève de l’insulte à la dignité d’un peuple que la France a suffisamment meurtri avant et après la décolonisation. Panser ses blessures à l’instar des blessures de la France au Peuple algérien au moment de la libération-décolonisation de l’Algérie est une opération délicate où la sagesse doit prendre le dessus sur les intérêts politico-militaro-économiques. A défaut, l’Afrique jouera la carte de la diversification, voire de changement de partenaires.

Le Peuple africain souhaite qu’on lui foute la paix. Sauf que les rapports de force en présence ne le permettent pas toujours. Mais c’est un mouvement inéluctable qui va s’amplifier dans les années à venir et face aux multiples crises. L’ignorer, c’est s’exposer à une déflagration sociale qui sonnera comme un « dégagisme des néocoloniaux ».

12. L’IMPOSSIBLE « RELOOKING » NEOCOLONIAL : LA FIN DU MANDAT DE LA SERVITUDE VOLONTAIRE

Aussi, la sagesse doublée d’un effort de vérité et justice ne peuvent qu’aider à « recoudre » les liens séculaires qui auraient dû être « gagnant-gagnant » si par exemple, le retour sur investissement de l’aide au développement française et les recettes pétrolières des entreprises multinationales françaises comme Total Energie ou Bolloré S.E. essentiellement tirées de l’Afrique avaient bénéficier au Peuple africain. D’ailleurs cela se saurait ! Or, l’alternative ne passe pas par le « relooking » des autocrates africains mais bien par le choix de personnalités éthiques originaires des pays africains et dans la Diaspora, mais sans « casseroles » ou « liens incestueux » avec la corruption et le néocolonialisme. Défendre les intérêts effectifs des Peuples africains passe aussi par un minimum de vérité et de clairvoyance sur les méfaits des néo-colons. C’est le minimum pour que l’autre manière de gouverner en Afrique repose sur des dirigeants africains qui ne sont pas des agents de la servitude du Peuple africain.

Le nouveau mandat d’Emmanuel Macron doit se rendre à l’évidence que les cinq années de son pouvoir « jupitérien » ont promu la gestion par procuration de nombreux dirigeants en zone franc. Le fait de conférer à un dirigeant africain et son entourage le droit d’agir au nom des intérêts de la France ou des pays occidentaux, en utilisant subtilement l’Union européenne ou les Nations Unies comme des paravents bien commodes, ne permet pas dans le long-terme de cacher la vulnérabilité de ces décideurs africains à organiser la démocratie de façade à la place des représentants d’intérêts étrangers. Certains en Afrique comme hors de l’Afrique ne se gênent d’ailleurs pas pour s’approprier, tels des rentiers sans vergognes, des pans entiers des richesses africaines, des richesses que Dieu a donné au Peuple africain.

La malédiction des matières premières est le fait justement non pas du Peuple africain, ni d’ailleurs du Peuple occidental, mais bien de la conjugaison des intérêts bien compris entre des dirigeants étrangers, publics et/ou privés, avec des mandataires africains, adeptes de la servitude volontaire. Le relooking de cet espèce particulier de dirigeants africains est une opération risquée à terme pour les intérêts des défenseurs officiels et officieux de la néocolonisation, autrement dit du révisionnisme de la françafrique. YEA.

1er mai 2022

Dr. Yves Ekoué AMAÏZO

Economiste spécialisée en stratégie et mutabilité

Directeur Afrocentricity Think Tank

www.afrocentricity.info

© Afrocentricity Think Tank

Notes :

  1. OPEC (2021). World Oil Outlook 2021 – 2045 Full Report. Accédé le 26 avril 2022. Voir file:///D:/Energy%20Africa/World%20Energy%20Report_Full%20report%202021_2045.pdf 
  2. La tribune et AFP (2022). « Gerhard Schröder aux portes du conseil d’administration du géant russe Gazprom ». In www.latribune.com. 2 février 2022. Accédé le 29 avril 2022. Voir : https://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/gerhard-schroder-aux-portes-du-conseil-d-administration-du-geant-russe-gazprom-903524.html.
  3. Gerhard Schröder a » … été le Chancelier d’Allemagne de 1998 à 2005. De 1999 à 2004, il a également été le chef du parti social-démocrate d’Allemagne (SPD). En tant que chancelier, il a dirigé un gouvernement de coalition composé du SPD et de l’Alliance 90/Les Verts. Depuis qu’il a quitté la fonction publique, M. Schröder a travaillé pour des entreprises énergétiques publiques russes, notamment Nord Stream AG, Rosneft et Gazprom. Il est connu comme un membre imminent du Lobby gazier prorusse. En 2017, la Russie a proposé à Schröder de siéger également en tant qu’administrateur indépendant au conseil d’administration de l’entreprise publique, le plus grand producteur de pétrole, Rosneft. À l’époque, Rosneft faisait l’objet de sanctions occidentales en raison du rôle de la Russie dans la crise ukrainienne. Schröder a déclaré au média Blick qu’il serait payé environ 350 000 dollars par an pour ce poste à temps partiel. En novembre 2017, une enquête menée par le Consortium international du journalisme d’investigation a cité son nom dans la liste des hommes politiques cités dans les allégations des “Paradise Papers”. 
  4. Carbonnier G. (2013). « La malédiction des ressources naturelles et ses antidotes », in Revue internationale et stratégique 2013/3 (n° 91), pages 38 à 48 ; Voir également Cairn. Info : https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2013-3-page-38.htm, accédé le 29 avril 2022 
  5. Konandi, J. M. (2021). « Nigéria : La raffinerie de Dangote va bien ouvrir en 2022 ». In www.sikafinance.com.16 octobre 2021. Accédé le 26 avril 2022. Voir https://www.sikafinance.com/marches/nigeria-la-raffinerie-de-dangote-va-bien-ouvrir-en-2022_30820?msclkid=db07bf47c55411ec92d1b6a42fa845a6 
  6. Laloupo, F. (2020). Blues démocratique : Afrique, 1990-2020. Editions Karthala : Paris. 
  7. Selon la définition du dictionnaire « l’Internaute », 1. le premier sens de l’expression provient de la légende racontée par Homère dans L’Odyssée, mais aussi par Virgile dans L’Eneide. Les Grecs ont pu envahir la ville de Troie en utilisant un cheval de bois avec des soldats cachés à l’intérieur. Ce stratagème est élaboré par Ulysse, prétendant offrir aux Troyens un grand cheval de bois, un cadeau pour la déesse Athéna. Les Troyens, flattés, font entrer le cheval dans la ville et durant la nuit des soldats ennemis en sortent pour ouvrir les portes de la ville au reste des troupes grecques et ainsi envahir la cité de Troie, assiégée depuis dix ans. 2. Le deuxième sens utilisé en informatique signifie qu’un cheval de Troie est un programme malveillant qui s’installe à l’insu de l’utilisateur. Ces ONG servent à diffuser des pratiques qui valorisent le rôle des entreprises multinationales qui pourtant agissent stratégiquement contre les intérêts des peuples africains. 
  8. OPEC (2021). World Oil Outlook 2021 – 2045 Executive summary Report, p. 9. Accédé le 26 avril 2022. Voir file:///D:/Energy%20Africa/World%20Energy%20Report_Executive%20summary_2021.pdf 
  9. OPEC (2021). World Oil Outlook 2021 – 2045 Full Report. Op. Cit., p. 90. 
  10. Jacquemot, P. (2022). Afrique, la démocratie à l’épreuve. Fondation Jean Jaurès. Editions de l’Aube : Paris. 
  11. Le French Bashing repose sur le « dénigrement français » et apparaît souvent comme une pratique essentiellement anglo-saxonne qui consiste à avoir un ressentiment anti-français basé sur des croyances, des stéréotypes ou encore des caricatures concernant les français. Mais en Afrique, ce n’est pas du tout la même « définition ». 

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