Togo : L’Exécution Silencieuse des Prisonniers Politiques Se Poursuit. 7 Morts Déjà. À Qui Le Tour?

À qui le tour? Une interrogation que nous avons voulu volontairement choquante et révoltante. Il est naturel qu’après la mort de quelqu’un, peut importe si on le connaît ou pas, on ne demande pas qui sera le suivant sur la liste. Mais vu le caractère politique inhumain qui sous-tend l’arrestation, la torture, la détention dans des conditions inhumaines de citoyens innocents qu’on laisse mourir à petit feu, le lecteur pourrait aisément comprendre le fait que nous avions choisi de choquer.

De multiples organisations nationales comme internationales, luttant pour la défense et le respect des droits humains, de nombreux journalistes togolais comme étrangers, des organes de presse nationaux et internationaux ont à plusieurs reprises dénoncé le caractère politique du kidnapping et de la détention arbitraire d’opposants politiques au régime Gnassingbé et réclamé leur libération. Mais au lieu de penser à la décrispation du climat politique, le pouvoir d’en face semble s’en tenir à son agenda radical qui consiste à mener la vie dure à tous ceux qui pensent autrement. Peut-il y avoir meilleure illustration que ce kidnapping digne de ces régions hors-la-loi sud-américaines le 04 novembre 2021 de Jean-Paul Oumolou?

Kéliba Amadou Kassim, c’est le nom du malheureux disparu. Embastillé comme beaucoup d’autres dans l’affaire sans tête ni queue dite  » Tigre-Révolution », au lieu de recouvrer la liberté, c’est un corps sans vie que recevra sa famille. Comme Yakoubou Moutawakilou, Aliou Séidou, Taïrou Bourhanou, Souleymane Djalilou, Moussa Saïbou et Alassani Issaka, il n’aura pas survécu aux nombreuses séquelles laissées par les actes de torture subis les premiers moments de leur arrestation et par les conditions inhumaines de leur détention. Né le 19 avril 1975, maçon de profession, Kéliba Amadou Kassim venait à l’échangeur d’Agoê, quand il ne trouvait pas de travail sur un chantier, décharger des camions pour trouver un peu d’argent et nourrir sa famille. C’est sur son lieu de débrouillardise qu’il fut arrêté le 06 décembre 2019; accusé comme toutes ces dizaines d’autres citoyens Togolais de délits qu’ils n’ont pas commis. Une affaire d’insurrection armée contre le régime de Faure Gnassingbé inventée de toutes pièces par les jusqu’au-boutistes de l’entourage du présdent de fait du Togo pour arrêter des militants de l’opposition et surtout du Parti National Panafricain (PNP). Et ce qui frappe dans ces emprisonnements de Togolais innocents c’est le caractère tribalo-ethnique des personnes ciblées.

Dès leur arrestation tout est mis en oeuvre à travers les tortures subies pour qu’ils deviennent malades ou meurent en prison; et les nombreux témoignages faits par certaines des malheureuses victimes font froid dans le dos et montrent que les ordres de maltraiter des Togolais qui pensent autrement jusqu’à ce que mort s’ensuive, semblent être venus de l’entourage immédiat de Faure Gnassingbé: «…Ensuite, on amène quelque chose qu’ils ne connaissent pas, de toute évidence une bombe lacrymogène, qu’on leur pulvérise dans les yeux et cela les pique fortement comme si c’est du piment mais on leur dit de maintenir les yeux ouverts pour regarder le soleil. Quelques heures après, le Ministre Damehane YARK vient sur place pour les regarder en tournant autour d’eux et, alors qu’on leur demande de s’assoir sur les fesses, il s’adresse à eux en leur disant qu’ils sont trop petits pour faire bouger le pays dans quelque sens que ce soit. Leur demandant qui d’entre eux sait tirer, il enchaîne aussitôt en disant qu’il ne voit pas homme parmi eux qui puisse les inquiéter de quelque façon que ce soit. Puis, s’adressant aux agents présents, il leur demande avant de partir de les punir sévèrement et ils vont voir ce qu’ils peuvent faire…» Un extrait qui dit tout sur l’intention des hautes autorités de notre pays quant à leur maintien vaille que vaille au pouvoir. Où sont-ils et qui sont-ils, ces Togolais qui continuent à raisonner, malgré l’évidence, que le régime Gnassingbé est là pour le bien des Togolais?

Aujourd’hui la quasi-totalité de tous ces prisonniers personnels de Faure Gnassingbé, dont plusieurs dizaines sont enfermés depuis 2018 dans l’enceinte de l’ancienne gendarmerie face à la BTCI, est malade. Personne ne peut comprendre pourquoi on pourrait enfermer des êtres humains dans ces dures conditions depuis bientôt trois ans pour les uns et deux ans pour les autres. Ils ne savent pas s’il fait jour ou nuit; la canicule est tellement insupportable que les ventilateurs ne jouent plus aucun rôle. Ces conditions de détention que même les plus grands criminels ne méritent pas, ajoutées aux nombreuses tortures subies font que presque tous les détenus souffrent de plusieurs maux: affection des membres inférieurs avec pour conséquence la difficulté pour se déplacer. Aziz Goma, dont nous avons à plusieurs reprises thématisé les souffrances, et qui se déplace à l’aide d’une chaise roulante, en est un exemple. Des difficultés liées à la vision parce qu’obligés de regarder le soleil les yeux ouverts; sans oublier des problèmes de respiration parce que sauvagement frappés sur la poitrine, et d’autres affections invisibles à l’oeil nu font également partie des lots de maux dont souffrent tous les prisonniers politiques.

Des témoignages de prisonniers qui nous sont parvenus font état du mépris dont ils font l’objet surtout quand il s’agit de leur santé. Nous apprenons par exemple qu’il y a quelques jours, un groupe de prisonniers devraient être conduits au CHU pour des analyses. Au lieu de prendre la direction de l’hôpital, le véhicule qui les transporte les amène à la prison civile de Lomé où ils seront enfermés dans une cellule de 07h à 16 heures sans rien manger avant d’être ramenés à leur lieu de détention. Il paraît qu’ils n’avaient pas été programmés; pourquoi alors les avoir extraits de leurs cellules pour la prison civile de Lomé pour y être enfermés? Des sources proches des prisonniers nous renseignent qu’à plusieurs reprises des prisonniers malades sont obligés de revenir de l’hôpital sans aucun traitement ou analyse parce que tout simplement il n’y avait plus de places pour les accueillir. Il n’est pas rare que des incarcérés malades, programmés pour des soins au CHU, soient conduits à la PCL (prison civile de Lomé) pour passer toute la journée dans des cellules avant d’être ramenés. Les Togolais doivent aussi savoir que leurs frères ou sœurs emprisonnés pour des raisons politiques depuis plusieurs années ne sont pas traités par l’état quand ils sont malades. Si un prisonnier est malade et n’a pas d’argent, personne ne s’occupe de lui. Les frais des visites médicales, des analyses et les ordonnances sont à sa charge ou à celle de sa famille s’il en a une qui a des moyens pour l’aider. Un moyen pour les geôliers et les décideurs du régime de voir se dégrader quotidiennement la santé des prisonniers.

Vu tout ce qui précède, tout semble être planifié par ceux qui ont décidé qu’on embastille des Togolais d’une certaine ethnie pour le maintien de la dictature, pour que personne ne soit libéré; pire, pour que leur santé se détériore et meurent à petit feu comme Kéliba Amadou Kassim qui vient de nous quitter. Que la terre lui soit légère! Se décideront-ils enfin à les libérer ou vont-ils continuer à fermer les yeux sur ces drames humains qui se jouent quotidiennement dans ces lieux de détention peu conventionnels où des citoyens malades sont détenus dans des conditions inacceptables? Et pour terminer nous nous demandons ce que les représentants des pays comme l’Allemagne, les USA… font dans notre pays, en fermant les yeux sur ce qui se passe d’inhumain dans le domaine des droits de l’homme. Eux qui sont prompts à distribuer des leçons de morale aux autres. L’amitié qu’ils célèbrent dans leurs discours officiels doit aussi consister à hausser le ton en appelant les choses par leur nom en appelant au respect de la vie du citoyen comme cela se passe dans leurs pays respectifs.

Samari Tchadjobo
Allemagne

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