Disparition d’Edem Kodjo: Que faut-il retenir du grand intellectuel qu’il fut? Fut-il un soutien ou une victime de la dictature?

Avec Edem Kodjo disparaît l’un des meilleurs intellectuels de l’Afrique comtemporaine.Tout intellectuel honnête qui pourrait avoir des réserves sur le parcours de l’homme, peut au moins être d’accord avec cette affirmation. Si Kodjo était né dans un autre pays plus libre et démocratique que le Togo, nous n’en serions pas aujourd’hui là à nous disputer sur le bilan que nous pourrions tirer de son passage dans les sphères politiques de notre pays et de l’Afrique

Puisque Edem Kodjo a vu le jour le 23 mai 1938 à Sokodé, donc au Togo; puisque le hasard veut qu’il soit revenu au pays après ses études en France en plein début de la dictature d’Éyadéma, l’Énarque de la promotion Blaise Pascal était désormais pris entre l’étau d’un système politique autoritaire. Il avait bien sûr le choix entre rester en France, comme beaucoup d’intellectuels togolais et africains, où inévitablement, il aurait fait une brillante carrière, et revenir servir au Togo sous Éyadéma. Mais il avait fait le choix de revenir. Choix que nous devons respecter même et surtout après sa mort.

Il fut l’une des têtes pensantes, sinon la tête pensante qui suggéra au dictateur de Pya la création du Rassemblement du Peuple Togolais (RPT). On lui prête également la paternité de la rédaction du livre vert, la bible du parti unique. Il fut gouverneur du Fonds monétaire international (FMI) de 1967 à 1973 et Secrétaire général de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) entre le 21 juillet 1978 et le 12 juin 1983. Éyadéma, en bon dictateur et craingnant que Edem Kodjo ne lui fît ombrage avec sa popularité de plus en plus grandissante à la tête de l’Organisation Panafricaine, s’opposa énergiquement, à travers son Ministre des Affaires Ètrangères, à sa réélection pour un deuxième mandat. Craingnant pour sa sécurité au Togo, Edem Kodjo s’exila en France.

Il revint au pays avec l’avènement du multipartisme et créa l’UTD (L’union Togolaise pour la Démocratie). Il participa à la Conférence Nationale Souveraine en juillet -août 1991 et devint membre du Haut Conseil de la République (HCR), parlement de la transition dirigée alors par Joseph Kokou Koffigoh. Il était également là quand quand le HCR, avec à sa tête Monseigneur Fanoko Kpodzro, tenta de dissoudre le RPT. Edem Kodjo était l’un de ceux qui furent humiliés par les soudards envoyés par Éyadéma pour prendre en otage les Hauts Conseillers de la République en octobre 1992.

«L’UTD est un parti-charnière…», cette phrase restée légendaire servit d’alibi à Edem Kodjo pour se faire nommer Premier Ministre par Gnassingbé Éyadéma au lendemain des élections législatives de 1994 avec seulement 7 députés, alors que le CAR s’en sortait avec 36 élus. Ce qui montre que les intrigues de certains leaders de l’opposition togolaise pour plomber la lutte ne datent pas d’aujourd’hui, hélas! Après avoir servi le père, il se mit au service de Faure Gnassingbé dont il devient Premier Ministre en 2005. Pendant la dernière décennie de sa vie, Edem Kodjo aurait travaillé auprès du fils d’Èyadéma comme conseiller. En 2009, Edem Kodjo quitte la politique et crée la Fondation Pax Africana.

Ce petit survol, pas forcément exhaustif de la carrière de Monsieur Edem Kodjo, qui nous montre que notre valeureux compatriote et aîné avait beaucoup de qualités pour servir partout où il était appelé. Que ce fut au Togo, sa terre natale, ou sur le plan panafricain. Mais avait-il pu, avait-il su utiliser toutes ses potentialités intellectuelles pour servir son pays, pour aider ses concitoyens comme il l’aurait voulu? Edem Kodjo, vu son gros bagage intellectuel qui débordait des frontières togolaises et qui fit de lui cet oiseau rare en Afrique et pourquoi pas ailleurs, ne méritait-il pas mieux que ce qu’il fut au Togo toute sa vie? Kodjo aurait pu être un brillant Sécretaire Général de l’ONU, un bon Président de la République, qui avait toutes les qualités pour conduire le Togo vers des horizons de prospérité.

À mon avis, au moment de nous incliner sur la mémoire de l’illustre disparu en méditant sur ce que fut vraiment Edem Kodjo, je sais que les uns et les autres ont des positions mitigées. Je sais que beaucoup de Togolais ne pardonnèrent pas à Edem Kodjo qui accepta de devenir le Premier Ministre de Faure Gnassingbé après le massacre de presqu’un millier de ses concitoyens, sans pouvoir rien changer aux méthodes de la tyrannie. Mais n’oublions pas que sans la dictature, il aurait pu faire une autre carrière plus profitable à son peuple. Que ce serait-il passé si Éyadéma n’avait pas mis tout son poids dans la balance pour torpiller le renouveau démocratique au lendemain de la Conférence Nationale? Notre défunt grand-frère fut-il victime ou soutien de la dictature des Gnassingbé? En tout cas c’est à chacun d’en juger.

Edem Kodjo s’en va a 82 ans presque. Que la terre lui soit légère! Nos sincères condoléances à sa famille, à ses proches, à ses amis et tous ceux qui l’ont connu de près.

Samari Tchadjobo
11 avril 2020
Allemagne

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